Voyage au bout de ma nuit

 

 

 

J’ai toujours eu très mal à ma mémoire; assez pour devenir écrivain léger.

Incorrigiblement fleur bleue.

Marcel Dassault, ancien déporté de Buchenwald, ne fut-il pas le producteur de la suite de la comédie sucrée La Boum ? Interprétée par cette Sophie Marceau que je fis tourner par la suite…

Mais mes ébrouements romantiques ne me mirent pas à l’abri d’une misanthropie lancinante. La nuit circule dans mon cerveau. J’ai tout du malheureux, sauf le malheur. Seul l’amour effréné me réveille parfois du chagrin d’être issu de tant d’horreur assumée. Aimer me réchauffe alors et me rend mon honorabilité. Soudain, je me hisse au rang de garçon estimable en sortant, le temps d’un baiser volé, de ma condition froide d’exilé en soi. Ermite urbain, enthousiaste sceptique, j’affecte d’être gai; alors que je suis dévasté par la mélancolie. On me croit fiable, je suis à deux doigts du chaos.

Et puis un jour, le meilleur est arrivé: je n’ai plus pu donner le change.

Aux approches de l’âge de la mort de mon père, je me suis rendu à l’idée qu’il me faudrait naître, me désenvoûter de nos fidélités, briser mes allégeances claniques. Enfin. Tout comme cette pauvre Leni, la mère de mon Zac. D’abord sur papier broché, puis pour de vrai.

C’était en hiver dernier, alors que je regardais dormir ma femme. Cette tête poétiquement folle, si inventrice dans ses audaces et si sage par ses lucidités, m’est tout, et un peu plus. Partout où sa gaieté passe, elle met la vie en fête. Irriguée par du sang sémite en provenance de son père, L. m’a donné une fille un peu juive; notre enfant chérie que nous avons confiée pendant ses trois premières années à la crèche israélite de Paris. Etablissement sur la façade duquel est apposée une plaque mémorielle qui, à chaque fois que je la lis, me tord le ventre. Je devais à L. un mari vivant, gorgé de vérité. Et non une baudruche secouée de rires saccadés. Elle méritait que je sois moins hilare et plus heureux d’elle; ni grave ni léger: présent. Moins une imitation de moi que moi réveillé.

Un amant délivré de ses spectres, disponible pour l’avenir.

Un époux purgé de ses hontes, à la hauteur de son talent de vie.

A défaut de me rendre sur la tombe du Nain Jaune pour lui parler à sens unique, j’ai alors — soutenu par Jean-Paul Enthoven, alias Dizzy, mon cher éditeur — résolu de dialoguer avec lui. En le rejoignant par écrit à Vichy le soir du 16 juillet 1942, dans son bureau directorial de l’hôtel du Parc; le soir même de sa grande brisure biographique. Par le truchement de ce livre étrange que je tiens pour mon acte de renaissance. Le cri de chagrin par lequel je me désassigne de mon passé.

Pour affronter sa faiblesse et me frotter à sa dignité.

En vivant ainsi, plume à la main, ma confrontation avec cet homme merveilleux qui, ce jour-là et dans ce bureau, endossa l’horreur. En version française.

Des gens très bien
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